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Société ou entreprise individuelle

Quelle est la meilleure protection pour l'entrepreneur en difficulté ?

Les 18e entretiens de la sauvegarde organisés par l'Institut français des praticiens des procédures collectives se sont tenus le 30 janvier dernier. À cette occasion, les intervenants ont mis l'accent sur les incertitudes qui planent encore sur la protection de l'entrepreneur individuel face à ses créanciers.

Le principe de séparation des patrimoines de l'entrepreneur individuel

Pour mémoire, le nouveau statut de l'entrepreneur individuel reprend le principal atout du statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), à savoir la séparation du patrimoine professionnel et du patrimoine personnel, sans imposer l'accomplissement de formalités : la séparation des patrimoines est de droit (c. com. art. L. 526-22).

Ainsi, le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel est, en principe, insaisissable par ses créanciers professionnels. Quant aux créanciers non professionnels, ils ne peuvent agir, en principe, que sur son patrimoine personnel.

Le mécanisme de traitement de ses difficultés

Lorsque l'entrepreneur individuel ne parvient plus à faire face à ses dettes, il doit saisir le tribunal dont il dépend (de commerce ou judiciaire, s'il est un professionnel libéral) (c. com. art. L. 681-1).

Si les dettes ne concernent que son patrimoine personnel, le tribunal renverra l'affaire devant la commission de traitement du surendettement (c. com. art. L. 681-3). Si l'entrepreneur se trouve en état de cessation de paiement seulement sur son patrimoine professionnel, le tribunal ouvrira la procédure collective (c. com. art. L. 681-2, I et II).

Et enfin, si les difficultés impactent ses deux patrimoines, le tribunal fera alors face à deux hypothèses (c. com. art. L. 681-2, III et IV) :

  • hypothèse 1 : lorsque la distinction des patrimoines ara été strictement respectée et si le droit de gage des créanciers professionnels porte exclusivement sur le patrimoine professionnel, le tribunal ouvrira une procédure collective pour le traitement des dettes professionnelles et saisira la commission de surendettement pour le traitement des dettes personnelles,
  • hypothèse 2 : dans les autres cas, le tribunal traitera des dettes dont l'entrepreneur est redevable sur ses deux patrimoines (dite « procédure unique bipatrimoniale »).

Le sort incertain de l'entrepreneur individuel face à ses difficultés financières

Lors des 18e entretiens de la sauvegarde organisés par l'Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC), les intervenants ont soulevé la question de savoir quelle était, entre le nouveau statut de l'entrepreneur individuel et la forme sociétale, la meilleure protection pour le chef d'entreprise face à ses créanciers.

La séparation « automatique » des patrimoines de l'entrepreneur individuel : une fausse idée ?

Pour certains intervenants, la séparation automatique des patrimoines de l'entrepreneur individuel est en réalité une illusion, qui disparaît si l'activité professionnelle de l'entrepreneur périclite.

En effet, un entrepreneur en liquidation judiciaire peut être condamné à supporter personnellement une partie de l'insuffisance d'actif, si une faute de gestion est retenue contre lui (c. com. art. L. 651-2, al. 3).

Et, dans le même ordre d'idées, lorsque le patrimoine personnel s'avérerait insuffisant pour ses créanciers personnels, leur droit de gage pourrait alors s'exercer sur son patrimoine professionnel dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos (c. com. art. L. 526-22, al. 6).

Enfin, le nouveau statut instaure certes une présomption légale de la composition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel (c. com. art. L. 526-22 et R. 526-26) mais qu'adviendra-t-il d'un bien qui n'aurait été utilisé qu'en début d'activité ou des biens à utilisation « mixte » ?

L'inévitable ouverture de la procédure unique bipatrimoniale

Prenons le cas de l'entrepreneur qui rencontrerait des difficultés sur ses deux patrimoines.

Pour l'ensemble des intervenants à la conférence organisée par l'IFPPC, la dualité des procédures (cf. hypothèse 1 présentée plus haut) est très théorique et quasi inapplicable en pratique, en raison de la double condition à remplir :

  • une stricte division des deux patrimoines : la loi ne définit pas ce que l'on entend par une distinction strictement respectée,
  • l'absence totale de droit de gage des créanciers professionnels sur le patrimoine personnel : en pratique, les créanciers professionnels demanderont le bénéfice de sûretés conventionnelles sur le patrimoine personnel de l'entrepreneur ou la renonciation de l'entrepreneur à la séparation de ces patrimoines.

C'est donc la procédure unique bipatrimoniale qui devrait être le plus souvent ouverte à l'encontre de l'entrepreneur. Mais cette procédure unique amène son lot d'incertitudes.

Quelle issue pour la procédure unique ?

La procédure devra-t-elle déboucher sur une solution unique ou peut-on imaginer un jugement « mixte » avec, par exemple, la mise en place d'une procédure de redressement s'agissant du patrimoine personnel et la mise en liquidation judiciaire avec clôture pour insuffisance d'actif s'agissant du patrimoine professionnel ?

Sur cette question, les avis des intervenants à la conférence divergent, une procédure collective ne pouvant, en principe, s'appliquer qu'aux entreprises. Pour certains d'entre eux, l'application d'un redressement judiciaire ou une liquidation judiciaire au patrimoine personnel de l'entrepreneur serait donc impossible, étant donné que les conditions d'ouverture des procédures ne pourraient pas être remplies.

La société resterait le choix de la sécurité

Les intervenants à la conférence en concluent qu'il vaut mieux, pour une personne physique souhaitant démarrer son activité professionnelle, passer par la forme sociétale car elle le protégera mieux lorsque des difficultés financières apparaîtront. En effet, la forme sociétale impose une tenue comptable rigoureuse et maîtrisée ainsi qu'un modèle légal de protection (on pensera, par exemple, à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée).

Ainsi, la création d'une société est certes accompagnée d'un formalisme plus lourd que celui de l'entreprise individuelle, mais sa structure plus rigoureuse est un meilleur rempart pour l'entrepreneur vis à vis de ses créanciers.

 

Source : 18e entretiens de la sauvegarde organisés par l'Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives, 30 janvier 2023

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