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Éleveurs allaitants Se préparer pour contractualiser

La loi Besson-Moreau, votée en octobre 2021, instaure la contractualisation obligatoire en viande bovine dès le 1er janvier 2022 pour les animaux finis de race à viande et dès le 1er juillet 2022 pour les animaux maigres. Ce nouveau cadre législatif est une véritable révolution pour ce secteur, où la structuration de l’amont de la filière reste très éclatée et la pratique contractuelle demeure marginale (estimée à moins
de 5 %). Selon le rapport du CGAAER sur la contractualisation, près de la moitié des éleveurs adhérent à une structure collective d’organisation de producteurs commerciale ou non. L’autre moitié vend en direct auprès du négoce privé.

 

Quels changements impliquent la loi pour les éleveurs ?

L’obligation de contractualisation concerne l’ensemble des transactions entre l’éleveur et son premier acheteur. Seuls la vente directe, la vente sur les marchés aux bestiaux ainsi que les producteurs qui réalisent moins de 10 000 € de chiffre d’affaires annuel sur une catégorie d’animaux sont exemptés de la contractualisation.

En dehors de ce cadre, ce sont aux éleveurs de proposer un contrat à leur négociant pour les ventes en ferme. Pour les agriculteurs qui
adhérent à une coopérative ou à une organisation de producteurs (OP), les négociations pourront se faire de manière collective, au sein des conseils d’administration dans le cas des coopératives pour modifier les règlements intérieurs et intégrer les critères d’Egalim 2, et par la signature d’accord-cadre dans le cas des OP.

 

La mise en place des contrats modifie le rapport au temps des transactions. L’accord devra être conclu sur une durée de 3 ans, rompant ainsi avec les habitudes ancrées sur l’immédiateté des échanges ou sur une contractualisation limitée à un cycle de production. Cela implique d’avoir une réflexion à moyen terme sur le
nombre d’animaux produits, leur rythme de sortie… mais aussi de réfléchir aux éléments de variabilité qui peuvent interférer sur la capacité du producteur à respecter son volume de vente (aléas sanitaires, climatiques…). Du côté de la filière, la contractualisation devrait permettre une plus grande visibilité sur les flux d’animaux. Dans un contexte où l’offre bovine décroît suite à la décapitalisation du cheptel européen, cela peut contribuer à sécuriser les approvisionnements des abattoirs, optimiser leur fonctionnement et ajuster les politiques promotionnelles en fonction de l’offre et de la
saisonnalité de la consommation. Néanmoins, une certaine pression va s’exercer sur les premiers acheteurs. Ils devront s’engager à l’amont sur les prix d’achat des animaux et cela pour une durée minimum de 3 ans, sans avoir de garantie de pouvoir répercuter à l’aval leurs engagements, notamment si demain la proportion de valorisation de la carcasse entre les avants et les arrières se déplace.

L’autre changement important d’Egalim 2 concerne donc les modalités de fixation du prix. Le contrat implique que les règles qui
détermineront le prix de vente soient connues a priori par les deux parties. Donc l’acte de négociation se fera lors de la signature du
contrat et non plus au moment de la vente des animaux. Les règles de fixation de prix sont laissées à la libre appréciation de l’éleveur et de l’acheteur. La seule obligation imposée par la loi est la prise en compte d’indicateurs relatifs aux coûts de production (tel que l’IPAMPA ou le coût de production publié par l’interprofession).
Ainsi l’éleveur pourra choisir de proposer un prix déterminé (=prix fixe) indexé sur un indice de coûts ou un prix déterminable, issu d’une formule de calcul composée de plusieurs indicateurs tels que le coût de production, le prix de marché et des primes récompensant la qualité ou le respect de la planification, par exemple. Dans ce cas, il faudra définir un taux de pondération de chacun des indicateurs choisis. Pour pouvoir arbitrer sur la formule la plus adéquate, il est essentiel que les agriculteurs connaissent en
amont de la négociation quelques repères clés de leur entreprise.

Se préparer à la négociation

Cela commence par la réalisation d’un bilan pluriannuel de son activité commerciale passée et à venir : inventaire des animaux vendus, en volume, leur conformation, les périodes de vêlage et de vente. Cette étape est aussi l’occasion de s’interroger sur les besoins de la filière (sont-ils connus ?) et la connaissance de ses acheteurs (Quelles sont leurs orientations stratégiques ? Avec qui travaillent-ils ? Quels sont leurs potentiels de vente ?)

L’agriculteur peut mesurer ainsi l’adéquation offre - demande et identifier d’éventuels points d’amélioration parmi la gamme des animaux proposés.

L’autre point essentiel, avant de lancer une négociation, est de connaître le prix de revient des différentes catégories d’animaux vendues sur l’exploitation. D’une part, cet indicateur permet de connaître le volume de muscle produit, de se positionner au regard des prix de vente actuels et mesurer sa sensibilité aux marchés. Il est également un outil d’aiguillage important pour choisir les règles de fixation de prix les plus adaptées pour l’exploitation : la pondération entre l’indice de coût de production et le prix de marché à proposer à son acheteur. Le prix de revient permet de dessiner une ligne d’objectif vers lequel l’agriculteur souhaite tendre et pourra aider à fixer les bornes de prix minimum et maximum du tunnel. Ainsi le contrat pourrait devenir un outil de la gestion du risque « prix » dans les exploitations, en négociant autour d’un prix pivot pour préserver les marges de manoeuvre et limiter la volatilité.

Mais les bénéfices attendus de la contractualisation, qui vise à mieux rémunérer les producteurs et à gagner en visibilité sur les marchés, dépendra à court terme du niveau d’engagements réciproques entre l’éleveur et l’acheteur, et de l’implication de l’acheteur à l’aval de la filière. Sur du moyen terme, l’enjeu sera aussi de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs pour peser de manière collective dans le choix des modalités contractuelles. Les organisations de producteurs, sont à ce titre un outil qui peut permettre de massifier l’offre, pour accéder à de
nouveaux circuits de distributions et mieux résister face aux pratiques commerciales.

Définir un niveau d’engagement réciproque

Finalement le cadre législatif, s’il n’est pas accompagné d’une vraie volonté des parties, ne sera pas suffisant pour modifier les règles
d’organisation de la filière amont. Les exploitants pourraient choisir de rester dans une démarche opportuniste centrée pour l’essentiel sur les prix de marchés. Leurs choix se porteraient alors sur la vente des animaux sur les marchés aux bestiaux ou sur des règles contractuelles très souples et peu engageantes en optant pour des fourchettes très larges en nombre d’animaux vendus, de date de vente, de conformation… Le contrat offrirait dans ce cas une simple garantie d’enlèvement des animaux.

D’autres pourraient faire le choix de pousser l’engagement réciproque au-delà de la logique de ramassage pour aller progressivement vers une logique de cahier des charges. Le contrat deviendrait ainsi un outil pour orienter la production et optimiser l’adéquation offredemande en relation directe avec l’aval. Le contrat engagerait l’éleveur sur un type d’animaux (poids, conformation, race), sur une évolution de la conduite de l’élevage (saisonnalité, bien-être animal, alimentation…) en contrepartie d’une plus-value sur le prix, à l’instar des contrats label rouge. Il s’agirait alors pour les éleveurs de mesurer la valeur ajoutée proposée et les coûts supplémentaires induits. La création de valeur pourrait se faire également hors contrat, en accompagnant les producteurs sur d’autres outils de gestion du risque tels que le financement de la trésorerie, l’accompagnement technique ou encore la mise en place d’une caisse de sécurisation.

Ces deux logiques ne s’opposent pas, elles peuvent au contraire apporter de l’agilité dans les exploitations en sécurisant une partie de son chiffre d’affaires d’une part, tout en gardant de la flexibilité d’autre part. La pondération entre les deux relève d’un choix stratégique que chaque producteur devra faire, celui de cultiver son Avantage compétitivité, son Avantage contractuel ou son Avantage Système.