Production laitière Egalim 2 apportera sa touche
La contractualisation n’est pas nouvelle en production laitière. Face à un bilan mitigé pour les producteurs, Egalim 2 a l’ambition de mieux protéger la rémunération des éleveurs dans les négociations aux différents maillons de la filière : la prise en compte des coûts de production et de leur évolution dans la détermination du prix de vente du lait au collecteur est réaffirmée, les éléments d’ajustement du prix selon l’environnement concurrentiel doivent être abandonnés. Entre transformateurs et distributeurs, le coût de la matière première agricole ne devra plus être l’objet de négociations. Ces éléments pourront faire évoluer le jeu concurrentiel et favoriser un certain desserrement des prix payés par les principaux collecteurs. Des opérateurs pourraient avoir intérêt à accroître la montée en gamme de leurs produits, sous réserve de marché. Dans ce contexte, les producteurs ont intérêt à connaître leurs marges de manoeuvre économiques et financières et la stratégie de leur collecteur.
La contractualisation laitière a 10 ans
La contractualisation écrite entre les producteurs de lait de vache et leurs acheteurs a été rendue obligatoire à compter de 2011 pour préparer la sortie du régime des quotas laitiers du 1er avril 2015. Les contrats devaient être établis sur 5 ans minimum. C’est une durée importante par rapport à d’autres productions, permettant d’apporter de la visibilité aux producteurs, dont les investissements sont conséquents.
Des organisations de producteurs (OP) et associations d’organisations de producteurs (AOP) se sont progressivement constituées. Le bilan de la mise en place des contrats s’est avéré
pour le moins mitigé. D’après l’analyse réalisée par le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) en février 2016, « avec la contractualisation, les entreprises
de la transformation se sont assurées un approvisionnement ajusté à leurs débouchés, mais sans apporter aux producteurs la garantie de stabiliser leur revenu et sans leur donner plus de visibilité ».
En réponse à ces écueils, un des objectifs de la loi Egalim 1 de 2018 était de permettre aux agriculteurs d’avoir un revenu digne en
répartissant mieux la valeur. Pour cela, la loi a notamment relevé le seuil de revente à perte des denrées alimentaires de 10 % et encadré les promotions pour une durée expérimentale de deux ans, qui a depuis été prolongée jusqu’en avril 2023. Pour les contrats écrits, et cela concerne la filière laitière, la loi a introduit l’inversion de la construction du prix, notamment par la prise en compte des coûts de production et des prix de revient.
Ainsi, les producteurs livrant leur lait à des industriels disposent généralement d’un contrat laitier. Les organisations de producteurs, essentiellement non commerciales, voient leur rôle se renforcer. Elles sont mandatées par leurs adhérents pour la négociation et la gestion collective des relations commerciales avec les laiteries privées. Elles ont un rôle important puisqu’elles sont les interlocuteurs entre les producteurs et l’acheteur de lait. De leur côté, les coopératives, qui collectent 55 % du lait français, ont progressivement adapté leurs statuts et règlements intérieurs aux évolutions réglementaires.
Le contrat établit le volume de lait à produire. Celui-ci évolue dans le temps, selon les besoins de la laiterie. Certains, comme Danone,
favorisent la saisonnalité des livraisons de lait, en cohérence avec leurs besoins industriels.
Le contrat fixe le prix de base de vente du lait. Pour le calculer, les indicateurs et leur pondération sont variables d’un opérateur à l’autre, en fonction de leur mix-produit. Par exemple, l’indicateur beurre-poudre pèse pour 20 % du prix en moyenne en France, mais 15 % chez Danone et 30 % chez Lactalis. Un même indicateur peut prendre des formes différentes selon les opérateurs. Ainsi, le prix de revient pris en compte pourra être l’indicateur calculé par l’interprofession laitière, ou la moyenne observée des producteurs d’une région, ou encore le quartile supérieur des producteurs dans une optique de réduction du coût de production. Il ne suffit pas que le prix de base du lait soit calculé en tenant compte du prix de revient pour qu’il couvre le prix de revient. En effet, le prix de revient du lait, quand il est intégré dans le calcul du prix du lait, est combiné avec d’autres indicateurs.
Malgré les écarts d’indicateurs et de formule, les prix de base des principaux opérateurs sont relativement proches les uns des autres.
Egalim 2 pourrait faire évoluer le jeu concurrentiel entre acteurs
La filière laitière est concernée par l’application d’Egalim 2 depuis le 1er janvier 2022. D’une part, cette loi renforce la construction du prix « par la marche en avant », c’est-à-dire avec une meilleure prise en compte des coûts de production agricoles et de leur évolution dans la formation des prix d’achat aux agriculteurs.
Les parties prenantes pourraient souhaiter intégrer un indicateur de prix de revient qui soit au plus près des réalités du territoire.
D’autre part, avec cette loi, les clauses de modification automatique des prix au regard des tarifs pratiqués par la concurrence ne sont plus possibles. Ces deux éléments, prix de revient plus localisés et abandon des correctifs concurrentiels, pourraient se traduire par un certain desserrement des prix d’achat du lait.
Toutefois, le contexte concurrentiel entre laiteries demeurera une réalité, et celles-ci resteront vigilantes sur la compétitivité de leurs produits en France et à l’international.
Des laiteries pourront être attentives à la sécurisation de leurs approvisionnements. Pour cela, le niveau du prix de vente du lait et son évolution peuvent être un facteur de motivation pour la production laitière. C’est particulièrement important dans le contexte
français de diminution de la production laitière (-1,4 % sur les 11 premiers mois 2021 par rapport à la même période de l’année précédente), de décapitalisation du cheptel lait (-1,8 % sur un an) et d’enjeu démographique fort (28 % des producteurs ont plus de 55 ans).
Avec la loi Egalim 2, la négociation des prix des produits alimentaires entre acteurs aval (industriels, coopératives, distributeurs) ne pourra plus porter sur le prix d’achat de la matière
première agricole. Industriels et coopératives pourraient donc se trouver en position délicate entre les producteurs de lait, dont le coût de la matière première serait sanctuarisé, et la distribution, faisant pression pour limiter la hausse des prix aux consommateurs, en particulier sur les marchés standards.
Un encouragement pour la segmentation et la montée en gamme ?
Les laiteries pourraient avoir intérêt à réduire leurs marchés standards et à accroître leur montée en gamme. Au préalable, la demande des consommateurs et leur consentement à payer seront déterminants. Certaines démarches ne trouvent pas leur marché et s’arrêtent ou ne progressent pas aussi vite que prévu. C’est le cas par exemple du « sans OGM ». Pour le producteur, ces démarches ne se traduisent généralement pas par un accroissement de la valeur, mais plutôt par une compensation des surcoûts induits par le cahier des charges, moins motivante.
La loi Egalim 1 avait fixé l’objectif d’atteindre 50 % de produits de qualité et durables, dont 20 % de produits bios, dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022. L’objectif est loin d’être atteint, malgré la dynamique enclenchée. À partir de 2024, il sera étendu à la restauration collective privée (restaurants d’entreprises par exemple) par la Loi Climat et
Résilience. Ces dispositions pourront soutenir une montée en gamme.
La filière appréhende les retombées sur la consommation du logo nutritionnel Nutri-score, promu dans la loi Egalim 1. Son affichage n’est pour l’instant pas obligatoire. Les fromages sont mal notés : d’après la Fédération des Fromagers de France, près de 90 % des fromages se retrouvent classés en D ou E. Avec sa possible généralisation, les acteurs craignent qu’une partie des consommateurs ne se détourne des fromages, ce qui conduirait à une perte de valeur pour la filière.
En coopérative : vers une inversion de l’engagement « prix » au producteur ?
Arguant de leur statut particulier, les coopératives laitières n’ont pas systématiquement intégré le prix de revient du lait dans le calcul du prix d’achat au producteur, mettant en avant la transparence du partage de leur résultat avec leurs adhérents coopérateurs. La loi Egalim 2 pourrait les y contraindre. Mais cette révision impliquerait une nouvelle négociation et validation politique au sein de la coopérative et prendrait nécessairement du temps. Un opérateur comme SODIAAL, chez qui la formule de prix est récente, est inquiet. Les coopératives fruitières de production de Comté sont réticentes à la révision de leur système de rémunération tenant compte des besoins des différents maillons.
Les coopératives sont attachées à leur modèle économique de distribution postérieure à la vente du produit via des compléments de prix déterminés en fonction de la valeur effectivement créée. Sans remettre en cause les spécificités des coopératives, la loi précise que celles-ci devront être en phase avec les objectifs d’Egalim 2. Elles devront donc rendre des comptes à leurs adhérents sur le prix du lait payé, son évolution, la prise en compte du coût de production, le mix-produit de l’entreprise et sa capacité à valoriser le lait collecté.
Pour les producteurs de lait : vigilance et lucidité !
La loi Egalim 2 prévoit la sanctuarisation du coût de la matière première. Pour les producteurs et leurs représentants dans les
négociations avec les laiteries, l’enjeu est donc d’en fixer le coût initial et les conditions de réévaluation au cours du contrat. Cet exercice intervient dans un contexte particulier : les prix de marché sont élevés, de même que le niveau des charges (y compris pour les industriels).
Dans un contexte général inflationniste, la distribution porte quant à elle son attention sur le pouvoir d’achat du consommateur. En négociant la contractualisation à une période de prix élevés, la lucidité est de mise sur la tendance à venir des indicateurs, l’impact sur le prix futur et les équilibres économiques et financiers des entreprises. Pour les producteurs, la connaissance de leur prix de revient laitier et de leurs marges de manoeuvre seront une nécessité face à ce risque. Avec les quotas laitiers, les producteurs étaient essentiellement livreurs de lait. Avec la contractualisation, ils sont devenus des livreurs de lait à tel ou tel opérateur pour la fabrication de lait de consommation sous marque distributeur, de fromages, de crème, de beurre, de poudre de lait destinée au marché intérieur ou à l’export, etc. Egalim 2 conforte ce lien des producteurs avec leurs opérateurs, leurs débouchés et leur filière. Dans ce contexte, il faut souligner l’importance pour le producteur de connaître la stratégie de sa laiterie.