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Grandes cultures Se coordonner pour créer de la valeur

Si la plupart des filières grandes cultures est exemptée des Egalim 2, la contractualisation y est parfois utilisée depuis des décennies. L’usage varie fortement d’un territoire à l’autre ; les volumes engagés dans des contrats de production représentant 0 à 40 % des volumes collectés selon les organismes stockeurs (OS). Le contrat accompagne généralement le développement de filières créatrices de valeur ayant des besoins spécifiques.

 

Au cours du XXe siècle, le développement de marchés des céréales et oléoprotéagineux et de filières largement mondialisées a conduit à la standardisation de ces produits agricoles. Pour pouvoir être échangés entre pays, ils ne sont plus distingués que par un nombre limité d’indicateurs (taux de protéine, d’impureté, d’humidité…) au détriment de leurs autres caractéristiques. Ainsi, le lieu d’origine, le goût, la variété, le mode de production sont gommés.

Cependant, le marché mondial ne peut pourvoir à tous les besoins. Si un industriel recherche des pois chiches bios pour sa gamme traiteur, si un autre, engagé dans une démarche RSE, veut alimenter son usine de pâtes de blé dur français, si un troisième cherche du colza érucique pour entrer dans la fabrication de cosmétiques, ils ne pourront les trouver à Rouen ou à La Palisse.

Industriel cherche matière pas ordinaire

Ces industriels construisent alors des partenariats avec des organismes stockeurs (OS) qui pourront sécuriser leur approvisionnement en quantité et en qualité. Pour cela, les OS proposent des contrats à des agriculteurs pour s’assurer que les volumes collectés correspondront aux débouchés et les inciter à produire la qualité attendue. Par exemple, depuis 2008, la charte Harmony cherche à assurer un approvisionnement plus durable pour la marque Lu. En 2020, des contrats en cascade lient Lu, 4 meuniers, 21 coopératives et 1 700 agriculteurs, pour produire la quasi-totalité du blé nécessaire pour ses fabrications en France, soit plus de 100 000 t de blé.

Grâce aux contrats, le transformateur se protège des risques de pénurie de matière première et limite les coûts liés à la transaction. En fonction de ses besoins, le document peut préciser des clauses sur la qualité du produit, le calendrier de livraison, le mode de production… et les incitations financières pour encourager ces pratiques. Ces contrats permettent à l’OS et à l’industriel de créer de la valeur grâce à la mise en marché d’un produit pour des débouchés particuliers (blé de force pour les farines panifiables, maïs waxy adapté aux débouchés amidonniers, moutarde valorisée
dans la fabrication d’un condiment sous IGP). Ils sont aussi parfois mis en place pour contourner les risques liés à la distance : soit que la matière première soit difficile à stocker et à transporter (cultures industrielles), soit que les crises récentes rendent concurrentielles les productions de proximité (chute des rendements de la moutarde canadienne, baisse des disponibilités en soja non OGM, coût du fret, campagne contre le soja et l’huile de palme pour limiter la déforestation).

Dans le cas de Lu, le biscuitier dispose autour de ses usines d’un blé de qualité constante adapté à ses besoins, et peut communiquer largement sur l’engagement environnemental et l’origine de son blé.
En contrepartie, ces maillons de la filière doivent apporter aux agriculteurs des garanties de débouché et de prix suffisamment incitatives pour compenser la perte de liberté que représente leur engagement (place dans l’assolement, choix de variété limité, pratiques culturales et environnementales imposées). Dans le cadre de la Charte Harmony, les producteurs obtiennent une prime de 5 à 10 € / t en fonction des mesures mises en place.

Des prix pour inciter les agriculteurs à se diversifier

La fixation du prix à un niveau incitatif rend attractives des cultures dont les rendements sont plus incertains que ceux des cultures
dominantes (blé, maïs, tournesol) ou des pratiques qui entraînent des hausses du coût de production (HVE…). Le versement de prime qualité, l’indexation sur le coût de production ou la mise en place de tunnel de prix sont des mécanismes qui limitent les risques pour le céréalier.

Le contrat est crucial pour semer des cultures pour lesquelles le rendement comme le marché peuvent être erratiques (blé dur, pois
protéagineux, lentille…), mais il ne suffit pas pour pérenniser ces cultures dans les assolements. En effet, si le contrat ne s’accompagne pas d’un conseil technique pour s’assurer des bonnes conditions de production et de la montée en compétences de l’agriculteur, voire, sur le moyen terme, d’une offre variétale plus performante, le producteur peut être découragé par une succession de mauvaises récoltes.

Le contrat n’empêche pas longtemps les comportements opportunistes s’il est trop en défaveur d’un des contractants. La formule de prix doit ainsi pouvoir être renégociée quand les cotations mondiales atteignent des valeurs extrêmes. Si les prix de la culture contractualisée ou des cultures alternatives rendent le contrat beaucoup moins intéressant que la vente de gré à gré ou le semis d’une autre production, la tentation sera forte de ne pas reconduire l’engagement.

Ainsi, pour assurer le développement régulier depuis vingt ans des surfaces de lin oléagineux valorisées dans la filière Bleu-Blanc-Coeur, le fabricant d’aliment du bétail Valorex a travaillé sur plusieurs plans. Les contrats fixent généralement un prix plancher du lin calculé pour dégager une marge comparable à celle du blé ou du colza. Pour fidéliser les producteurs, les acheteurs préfèrent proposer un niveau de prix incitatif et un relèvement du prix plancher dès la 2e année d’engagement, plutôt que des contrats portant sur plusieurs années, jugés trop contraignants par les agriculteurs. Enfin, des partenariats avec la recherche ont permis de
proposer de nouvelles variétés plus productives et plus résistantes. La formule de prix motive également les producteurs à prendre en compte les besoins du collecteur (prime rendu silo) et de Valorex (prime pour le respect du cahier des charges, bonus/malus selon le taux de matière grasse et d’Oméga 3).

Une première étape pour instaurer la confiance

Pour qu’une filière différenciée perdure dans le temps, les contrats ne suffisent pas. La circulation des informations entre les maillons est un élément capital. Elle permet que chacun intègre les attentes du consommateur final, les signes d’engorgement du marché, la diffusion de références. Une instance de pilotage de la filière peut faire circuler l’information, coordonner les dynamiques des différents acteurs, arbitrer les inévitables conflits. Elle doit s’inscrire à l’échelle
du bassin de production : souvent celle d’une région, en lien avec un industriel local (luzerne autour d’une usine de déshydratation), parfois à l’échelle nationale, quand le débouché grandit (lin oléagineux, blé Lu’Harmony).

La création de valeur n’est pas systématique dans ces filières. Quand elle se produit, sa juste répartition ne coule pas de source. Si l’un des acteurs de la filière est en position de force, il risque d’accaparer la valeur, fragilisant tout l’édifice. Une gouvernance de la filière peut contrôler les engagements réciproques, coordonner les pratiques de mises en marché et de communication pour faciliter la création de valeur. Elle peut également s’assurer qu’aucun maillon de la filière ne monopolise la valeur créée.

Dans la filière Bleu-Blanc-Coeur, la gouvernance est portée par une association créée en 2000, à la suite de la première étude démontrant le lien entre alimentation animale et santé humaine. Ainsi, les produits (viandes, produits laitiers, oeufs…) issus d’animaux dont la ration contient du lin extrudé ont une teneur supérieure en Oméga 3, ce qui a un effet bénéfique sur la santé du consommateur. Au-delà de l’intérêt nutritionnel, l’association Bleu-Blanc-Coeur reste en alerte pour proposer régulièrement de nouveaux engagements (diversification des rotations, suppression de l’huile de palme, diminution du tourteau de soja importé…). La
démarche itérative permet de conserver la confiance du consommateur, de se démarquer des autres produits et de conserver la valeur ajoutée. La gouvernance de la filière, assurée
par 7 collèges représentant tous les acteurs, des agriculteurs aux consommateurs, s’assure ensuite que chaque maillon reçoive une portion de cette valeur suffisamment intéressante pour poursuivre son implication.

Pour les agriculteurs, le contrat n’est pas l’unique raison de poursuivre un engagement. Ils accèdent généralement à un suivi renforcé de la part de leur OS et constatent des effets agronomiques intéressants. Ils se trouvent également en position de pouvoir plus facilement signer de nouveaux contrats sur d’autres cultures. Ainsi, les exploitants engagés dans la charte Lu’Harmony profitent d’un conseil et d’outils d’aide à la décision qui leur permettent d’améliorer l’efficience de leurs intrants. Les éleveurs utilisant des aliments produits à partir des graines de lin constatent également une amélioration de la santé et des performances de leur troupeau (reproduction, lactation…). Enfin, chez les céréaliers, généralement très éloignés du consommateur final, le plaisir de savoir les produits dans lesquels se retrouvent ses graines est inédit.

Prix de base + prime fixe qualité et/ou stockage : le prix de base peut être un prix moyen campagne, un prix indexé sur les marchés à terme, un prix ferme selon la cotation du jour. La prime complète ce prix de base. Elle peut être fixe, si elle est liée à un cahier des charges (choix variétal, pratiques culturales) ou varier selon la qualité du produit fini (taux de protéine en blé dur) ou les services rendus (livraison, stockage sur l’exploitation).

Indexation sur une valeur de marché et/ou le cours des cultures dominantes et/ou le coût de production : la formule de prix peut être plus ou moins incitative en fonction de la pondération de ces différents indicateurs.

Prix ferme : le prix est fixé avant le semis, généralement pour compenser la différence de marge entre la culture et les cultures dominantes (blé, colza).

Tunnel de prix : avant les semis, les contractants s’entendent sur un prix minimum et un prix maximum. Le prix définitif est déterminé ou négocié à la récolte, en fonction d’une formule et d’indexation, en respectant les bornes définies par le tunnel.

Les différentes modalités de vente en grandes cultures : situer les contrats de production